La compréhension et la véritable signification de l’art de Raffy SARKISSIAN sont étroitement liées à la culture de son pays d’origine. La mise en évidence exclusive des thèmes nationaux concerne à la fois le travail stylistique et idéologique de son œuvre qui dans ses caractéristiques remarquables est inscrite dans ses racines orientales. Au cœur de son monde intérieur, nous trouvons ses pensées sur la nature et la destinée de l’être humain, notamment une conscience aigue et vivante de son appartenance à la nation arménienne.
Né au Liban, Raffy Sarkissian a réalisé ses études dans un premier temps à l’Académie libanaise des beaux-arts avec comme spécialité la sculpture (1967-1970). Dans un deuxième temps il s’est rendu à Paris où il s’est perfectionné dans l’atelier de César et à l’École nationale supérieure des beaux arts de Paris (1971-1975), où il fut diplômé en sculpture. Cette période permet au sculpteur de s’identifier en tant qu’artiste et de trouver sa signature qui est unique, en mettant en avant ses propres idées. Il apprend à exprimer sa vision du monde et son vécu à travers l’art, sa façon de percevoir le monde qui devient plus claire et précise.
Raffy ne manque pas de répondre à l’expression “Connais-toi toi-même” comme une invitation à l’introspection, à la recherche de son “moi”, c’est à dire de la nature, de la conscience de sa propre et véritable identité. Il est question d’une descente dans les profondeurs de son intériorité pour trouver l’essence de son être. Nous percevons la réalité des pensées et des émotions de Raffy Sarkissian à travers l’intitulé de ses œuvres.
Des grandes thématiques sont illustrées dans les créations de Sarkissian telles que l’individu et la société, l’homme et la nature, le Génocide des arméniens en 1915. Dans les œuvres du sculpteur, sont très tôt apparues des caractéristiques propres à ses créations ultérieures : parler à travers son art, des symboles, des racines et de la culture de ses ancêtres. Il semble revenir sans cesse au travail accompli dans le passé en essayant de l’améliorer encore et encore afin de mettre fin à ce dialogue sans fin. Comme si les idées de l’artiste étaient cristallisées et prennaient forme au cours de différentes réalisations. Il a créé des œuvres qui ont le même thème et le même titre en plusieurs versions («Racines de la culture», «Historiographie», «Le commencement», «Dialogue de lierre», «Terre et culture», «Bloc notes», «Le grand livre», «Jardin des poètes», «Arbre à lettres», «L’homme au rameau», «Odyssée d’une ville », «Quatre saisons», «Emancipation», «Kamantchas», «Déesse Anahit», «Grégoire de Narek», «Komitas», «De Sayat Nova à Komitas», etc.)
Ces sculptures de bronze révèlent un fond spirituel et émotionnel. Les branches d’arbres, les plantes, les racines, les feuilles, les lettres sculptées par l’artiste constituent des éléments qui font partie intégrante de son langage artistique. Ses œuvres illustrent parfaitement les recherches de l’artiste et elles témoignent d’un souci raffiné du détail.
L’écriture occupe une place très particulière pour Sarkissian. Il met en avant la particularité et la noblesse de la calligraphie de Mesrop Machtots, l’inventeur de l’alphabet arménien. Raffy rétablit le lien avec l’ancienne culture arménienne un utilisant l’alphabet national, avant de reprendre la route perdue. Il semble que l’artiste aussi essaye, en illustrant ses lettres sculptées, de retrouver, de partager avec nous ou faire de nous des participants du patrimoine culturel : remettre en valeur, rendre hommage à cet indispensable outil de la mémoire écrite.
Il marque de son interprétation unique les thèmes suivants : « Le fantôme d’Anatolie », «Quatre saisons», «Odyssée d’une ville», « Mémoire d’un village », en représentant les rescapés du Génocide arménien, la vie de sans-abris.
La synthèse entre la statique et la dynamique est typique de l’œuvre de Raffy Sarkissian, qui se rapporte généralement au mouvement. Comme dans les séries de sculptures exprimant les formes de la feuille (dynamique) et la pyramide (stabilité, statique) : « Beethoven », « Renaissance », « L’homme arbre », « Berger et béliers », « Hommage à Leonardo Da Vinci », « Bal des compositeurs », « Sage africain », « Le fantôme d’Anatolie », et etc.
Les caractéristiques de son langage artistique sont variées. Les recherches de nouvelles expressions sont exprimées dans les enveloppes de bronze et de pâte à papier issues de son cycle épistolaire : « Les clefs de la ville », « L’attente », « Age d’or », « De Ramsès à Champollion », « Marche vers l’infinie », « La langue de Molière », « Paris, capitale du monde », « Enveloppe ville », « Enveloppe paysage », etc.
Cette série d’enveloppes ouvertes ou déchirées d’où sortent des portions de villes, d’architectures et de personnages. Elles possèdent une iconographie particulière et elles portent en elles les rêves et les secrets de l’artiste, un message de tolérance et d’universalité. Elles ont été exposées au Musée de La Poste de Paris en 2003.
L’âme nationale par ses œuvres sculpturales, s’exprime non seulement dans le contenu de la thématique des idées, mais également dans sa signature artistique, qui est unique. L’ensemble des sculptures de Raffy Sarkissian provient des sujets qui lui tiennent à cœur. Elles se distinguent par cette harmonie de leurs moyens expressifs.
En parlant du style, de l’expression nationale des racines de Raffy Sarkissian, il ne faut absolument pas oublier sa connaissance de l’art européen. Même si, ses œuvres, sont fondamentalement arméniennes, elles utilisent également la langue mondiale et rentrent dans cette famille1.
1 Certaines des pièces sculptées de Raffy Sarkissian se retrouvent aussi dans les collections privées de Christian Lacroix, de Mireille Matthieu, de Rafiq Hariri, de François Léotard, de Frédéric-Armand Feydit ou même de Mme Mitterrand.
Shushanik Zohrabyan
Historienne de l’Art